"Gemini (birthday song)" - Why ?
Il y a de petites choses, comme ça, devant lesquelles raison défaille. Comment les Rolling Stones ont remisé leurs fantasmes vicieux au placard pour « She’s a rainbow ». Comment Johnny Thunders réussit à trouver cinq minutes de lucidité pour écrire « It’s not enough ». La pluie de notes à la huitième minute quarante-deux de « Marquee moon »… Autant d'accalmies inattendues. Autant de cruelles promesses, celles de quelque ailleurs inaccessible. « Un tas d’immondice et au milieu, une fleur écarlate », commentait je ne sais plus qui, à propos de Bukowski.
Dans le genre, « Gemini (birthday song) » me fait l’effet d’un rai de lumière déployant son prisme pour braver l’orage. Je me souviens m’être fait happée par elle au beau milieu du concert de Why ?, dont je n’avais jamais entendu parler auparavant. Yoni Wolf tapait sur tout ce qui passait entre ses mains, chantait les yeux plissés cette histoire racontée mille fois depuis que le monde est monde. Celle d’une union inconditionnelle, ancrée aux petits détails du quotidien ; des ongles vernis, un lit défait... “When we're on different sides of the globe, I thought we'd keep our veins tangled like a pair of mic cables”. Il existe donc encore des gens capables de nous remuer les sentiments avec cette vieille rengaine démodée, l’amour ? Pire encore, « Gemini » est de ces chansons qui vous feraient brûler les ailes à taquiner l’espoir.
Car -comment pourrait-il en être autrement ?- de sombres nuages menacent l’idylle. Un peu comme si l’idéal allait fatalement de pair avec le tragique. L’ombre de l’éloignement, de la mort… Ne me demandez pas ce qu’il en est, exactement, l’écriture de Yoni Wolf est trop personnelle pour se rendre complètement intelligible. Voilà deux ans désormais que j’essaie de percer le secret des paroles, et de leur écrin. Le texte est onirique, sensuel (“Bathed, shaved, and oiled, your legs are two skinny dolphins swimming”), aux prises avec le piano bancal ; et le rythme, celui d’un cœur défaillant. L’ultime verset me plonge encore et toujours dans des tourments bouleversants :
“You know my build.
You know my size.
The degree to which my eyes
are astigmatic.”
« Gemini ». Christopher Louie en a récemment fait un clip de belle facture. L’occasion de vous reparler de cette chanson, l’une des seules capables de me faire assumer un article aussi gnan-gnan. Mais que voulez-vous ? J’aime à penser qu’il existe une femme, quelque part, qui a inspiré cette merveille. Puisse-t’elle nous laisser brûler un peu plus.